/// Erik ... à suivre ... \\\

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Croisade en Aveyron...le trail des Templiers

Les Templiers...la véritable histoire...

 

 

Le plan d'attaque a été réfléchi bien à l'avance. Tout à été calculé, préparé, étudié.

Les entraînements concoctés par Yann ont été engrangés en vue de la campagne, en optimisant au mieux mes disponibilités et l'environnement, c'est-à-dire un pays Nantais sans gros dénivelés. Des séances, avec Céline ou mon père tractés en côte grâce à un attelage de chambres à air, ont simulé les pentes mortelles des Causses.

Le moment des préparatifs est terminé, maintenant c'est l'heure du départ.

 

Jeudi soir, J-3.

Céline m'emmène pour rejoindre mon fidèle écuyer Yvan de Mauléon.

Il m'héberge pour la nuit. Coucher de bonne heure et lever au chant du coq.

 

Vendredi, J-2.

Départ. En chemin nous passons prendre Xavier sur ses terres de  Maisoncelle. Lui aussi a décidé de relever le défi. Ensuite route vers les territoires occitans jusqu'à Nant, en Aveyron, en plein fief Templier…

Un trajet bien long agrémenté par le pilotage d'Yvan, les remarques de Xavier et…la traversée de Figeac…Moment mémorable.

La nuit est tombée lorsque nous entrons dans Nant. Nous ne verrons pas ce soir les paysages grandioses où nous allons guerroyer dimanche.

 

Samedi, J-1.

Sortie sur la terrasse du mobil-home les yeux brouillés après une bonne nuit de sommeil. Dehors la vallée est noyée dans le brouillard. P'tit dèj. et déjà les premiers rayons du soleil réussissent à percer le lourd voile. Les imposants remparts qui nous entourent sortent alors de la brume. Parmi eux le mythique « Roc Nantais » émerge, princier au dessus de la vallée de la Dourbie où nous avons installé notre camp. Ce sera la dernière place forte à conquérir dimanche

Après un bivouac là-haut sur la falaise qui domine notre camp, mes parents arrivent ce matin. Ils amènent nos VTT, mais ils se sont avant tout inscrits pour la « VO2 trail ». Course de 19km avec 1000m de dénivelé positif. Le départ de cette épreuve est prévu à 16 heures ce jour même !

Nous prenons donc dès leur arrivée la direction du camp de base des Templiers à Nant. Belle exposition de tout ce qui peut tourner autour du trail. J'en profite pour récupérer auprès des stands Salomon & Julbo les lots qui récompensent ma 5ème place au « Challenge des Trails Salomon Endurance Mag ». Je file récupérer mon dossard et le cadeau qui l'accompagne,  une belle thermos gravée à l'effigie du « Festival des Templiers »…Retour au mobil-home où nous attend le Team RADO de Gill d'Airvault avec sa bande de joyeux lurons Airvaudais !

Le soleil est maintenant généreux et nous réchauffe agréablement pendant notre déjeuner, puis c'est la pause repos des guerriers.

 

14h30 : mes parents sont fins prêts pour leur course. Retour donc sur la ligne de départ à Nant. La bourgade est déjà en effervescence, et pour cause, le départ du « Marathon des Causses » a déjà été donné à 800 trailers pour 40km. Nous arrivons au moment du départ de la seconde course, la « Templière », 700 femmes sur 11km, à l'issue de laquelle Marion Lorblanchet montera sur la troisième marche. Le départ de la « VO2 Trail » ne tarde pas. Mes parents sont sur la ligne. J'avance avec Yvan de Mauléon sur le parcours pour quelques essais photos, juste après le vieux pont de Nant…certainement d'époque Templière !

Le départ est donné. Ils sont également près de 800 sur cette course…soit 1400 coureurs dans la journée sur trois courses, sans compter celle des enfants…de quoi satisfaire tout le monde.

Aux avants postes, je reconnais Samuel Bonodo du Team Salomon, vainqueur récent du 100km de Millau. Maintenant c'est un défilé interminable, étiré par le goulot de rétrécissement du vieux pont. Après de longue secondes, ma mère passe devant moi, sourire aux lèvres et petit train tranquille. Puis c'est au tour de mon père, quelques instants après. Avec ses grands moulinets de bras pour que je le repère il ne m 'échappe pas. J'estime le retour de mes parents dans près de 3h.

Sitôt le dernier athlète passé Yvan et moi allons récupérer nos VTT. Au moment où nous enfourchons nos montures la première des Templières arrive…elle a pas perdu de temps !

Notre objectif, reconnaître de jour et en VTT ce que nous courrons demain matin de nuit et à pied.

Départ plat sur un bon kilomètre, puis la route s'élève avec un bon 5% sur deux autres kilomètres. Petit développement, on tourne les jambes, rien ne sert de s'user avant la course.

Fin du bitume et début de piste ravinée avec pente identique. Avec nos mini-braquets nous avançons toujours sans efforts. La côte se poursuit. Pas de problème d'orientation, le chemin sera agréable pour courir. Seule  difficulté : la montée !

Arrivée en haut de cette première longue rampe. Yvan me quitte pour rentrer se reposer…je continue.

Après une petite descente, la piste reprend son ascension régulière vers les sommets. Le balisage est déjà en place, pas d'erreur possible. Jalonné de taches orange fluo, la direction à suivre est claire…de jour !

Virages, portions plates, traversées de champ, épingles à cheveux, remontée d'une centaine de mètres, ornières. Mais après quelques temps : surprise ! Le chemin s'arrête. A droite la vallée, tout droit un bouquet d'épineux où je ne m'aventurerais pas…à gauche…un véritable mur !

Le balisage m'y conduit ! Une « allée » de 5 mètres de large a été dégagée sur environ 600 mètres, équivalente à une piste noire de ski…autant dire que même avec mon vélo à la main, la montée ne va pas être simple !

L'ascension se fait plié en deux sur le vélo que je pousse, les yeux rivés sur mes pieds ! Les 4/5ème de la montée effectués, je me retourne pour découvrir le magnifique paysage qui s'étend derrière moi…Vertigineux !

Après la course mes parents me confieront qu'en passant au pied de la montagne en voiture le  matin de la course alors que le peloton abordait en pleine obscurité cette rampe rectiligne, le spectacle à travers les vitres embuées était irréel, féérique. L'éclairage des centaines de frontales donnait à cette « avenue » un air de Champs Elysées.

Clic clac, quelques photos pour souffler un peu. Mes esprits retrouvés, je franchis les quelques mètres qui me séparent du col. Devant moi une plaine semée d'herbe blonde qui m'arrive à mi-cuisses. On se croirait dans les vastes prairies américaines des cartes postales, il ne manque plus que quelques bisons !

Je remonte sur mon vélo pour entamer un « freeway » directement tracé à travers champs. La coupe fraîche a laissé quelques longues épines d'aubépine et je serre les fesses de peur de crever un pneu…

A nouveau chemin puis apparition de restes de bitumes. Descente et traversée de la route départementale que nous couperons aussi demain et où nous recevrons probablement les premiers encouragements des supporters matinaux.

Encore un pseudo chemin « tracé » à travers brousse. Montée et passage dans un étroit tunnel. Ancienne voie ferrée. Pas de rails, pas de traverses, juste un reste de ballast . Il s'agit  d'une voie ferrée réhabilitée en chemin pour promeneurs et cultivateurs. Elle conduit à Sauclières, premier point de ravitaillement demain après traversée de plusieurs tunnels dont un long et obscur.

Cela fait 1h30 que je suis parti de Nant. A priori, demain matin, à ce moment de la course, les premières lueurs du jour devraient faire leur apparition. L'objectif est rempli, je connais maintenant la partie nocturne de la course.

Il est temps de voir l'arrivée de mes parents sur la VO2 Trail.

Retour par le même chemin. Pour débuter, un faux plat…montant, avant de trouver la route. Le col, quelques kilomètres sans un coup de pédale jusqu'au centre de Nant 600m plus bas.

Me voilà à l'arrivée des différentes courses maintenant plus ou moins mélangées. Petit crapahut à pied en remontant le flux de trailers à la rencontre de mes parents. J'arrive rapidement dans la montée du « Roc Nantais » (à descendre sur la course !) et me faufile, profitant de chaque trou dans l'interminable procession des coureurs pour progresser timidement.

Après une remontée sur plus d'un kilomètre je découvre mon père qui piétine derrière un groupe d'une dizaine de coureurs en file indienne. A mon niveau, il réussit à en doubler un…plus que 9 ! Encouragements, photos… (elle seront floues…peut être la vitesse !) Il me signale ma mère à 3 minutes derrière.

J'ai l'impression qu'à peine une minute s'est écoulée lorsque ma mère apparaît, elle aussi, à la queue d'un groupe, dans l'impossibilité de doubler. Quelques photos à l'arrache…qui seront floues aussi !

Je l'accompagne en descendant. Raccourci à travers champs, photos, sprint pour repasser devant, re-photos, puis escorte jusqu'à l'arrivée où mon père attend…depuis presque 3 minutes. Il avait bien raison !

Récupération du tee-shirt finisher, ravitaillement final, puis en VTT  retour au mobil-home pour une douche bien méritée.

Copieux repas à base de pâtes, et veillée d'armes abrégée. Dodo à 22 heures pour être sur le pied de guerre le lendemain…à la fraîche.

Eh oui, réveil prévu vers 3h30 ! Heureusement que le changement d'heure nous favorise et nous permet de dormir…une heure de plus ! Mais ça fait tôt quand même !

Mes parents de leurs cotés sont partis dormir dans l'incontournable Espace présent à toutes les campagnes (voir Ironman de Francfort, Embrun, Roth, Nice… ). Près du départ ils seront à pied d'œuvre pour le D-Day !

 

Dimanche 26 octobre 2008

3h30 du matin.

Mobil-home du « Roc qui parle » aux Cuns.

Sonnerie…Déjà ! Le sommeil des hommes a été bref. Passage rapide sous l'eau pour se réveiller. Le bruit oblige Yvan, qui dort dans le salon (!), à sortir de ses rêves d'exploits.

Je revêts ma tenue de combat : tunique flanquée d'une « croix pattée de gueule »,  manchettes argentées façon cotte de maille et cagoule de combat taillée dans le même tissu. Bien entendu, pour éviter les regards intrigués avant le départ…et ne pas avoir froid…j'enfile par dessus une veste et une casquette. Le double porte gourde est prêt, couverture de survie, sifflet et coupe- vent à l'intérieur (matériel obligatoire !), ainsi que quelques victuailles pour tenir la route. En soutien, n'ayant pas l'expérience de courir 72km, je prends en supplément une banane que je remplis de 4…bananes (!) et de quelques morceaux de gruyère.

Me voilà paré. Ne manque à l'attirail que ma casquette hawaiienne fétiche bleue (qui aurait sûrement détonné un peu ici). Tant pis.

Le repas bien copieux que j'ingurgite passe étonnamment bien. Réellement je ne ressens aucun stress. A croire que le trail est ma véritable discipline de prédilection !

Tout le monde est armé, prêt à partir en croisade. Mes amis partent sur le site en voiture. J'y vais en VTT…A 4h30 du matin, il fait frais ! Pour parcourir les 3 kilomètres jusqu'au départ à Nant, je suis éclairé par la petite frontale « Light » de chez Petzl (e.light) avec laquelle je compte courir dans quelques minutes mais aussi par la cohorte de voitures de concurrents qui se rendent aussi au départ.

Arrivé dans le village, vélo cadenassé, je pars à la rencontre de mon père pour lui laisser ma veste. En patientant, petit trotting en guise d'échauffement et surtout pour ne pas  congeler en restant immobile ! Enfin, alors que pas mal d'athlètes commencent à s'agglutiner sur la ligne, à 15' seulement du départ, je retrouve mon père ! Ouf ! Au moins, je pourrais lui laisser mes affaires !

Maintenant, tentative de bluff : faute de notoriété suffisante je vais miser sur ma tenue pour essayer de m'infiltrer par devant sur la ligne de départ.

Seuls quelques athlètes au palmarès étoffé sont autorisés à passer par devant…les favoris de la course, les connus et reconnus. Les autres sont refoulés et  obligés de sortir des barrières pour rejoindre le départ…par derrière. Problème pour moi : nouveau dans le circuit, palmarès modeste  et donc inconnu au bataillon.

Mon seul atout : une tenue de Templier ! Toujours recouvert avec mon survêt., accompagné de mon père, je contourne la zone de départ. A 50m devant la ligne, je quitte ma veste.

Devant moi, Vincent Delebarre (déjà vainqueur ici ainsi que sur la Diagonale des Fous) passe sans soucis en s'infiltrant au milieu des bénévoles chargés du « filtrage ». Quelques secondes d'hésitation…et je m'engage. Banco ! La magie du Templier opère. J'ai l'impression d'être Moïse ! Devant, les bénévoles s'écartent, un peu interloqués. Je ne suis pas sûr qu'ils auraient été plus surpris en me voyant arriver à cheval ! Revêtu de ma cagoule, équipé de mes manchettes argentées, tunique sans manches en drap blanc ornée de la croix rouge sang sur le torse…j'ai gagné la première bataille. On me laisse passer avec considération et je me retrouve en première ligne de la « Grande course des Templiers ! ». Je sens les regards converger vers moi.

Devant la ligne, un animateur fait monter tour à tour les « grosses pointures » sur un podium pour les interviewer. Pendant ce temps je pose pour mes parents postés de chaque coté de la ligne de départ. Ils tiennent à immortaliser ces instants. Et dire qu'on m'avait assuré que les déguisements en Templiers étaient monnaie courante pour cette course ! Je suis le seul dans cette tenue…et un tantinet gêné !

Après quelques secondes, Thierry Breuil (futur premier champion de France de Trail à l'issue de cette course)  termine son interview et un bénévole m'interpelle en me tapant sur l'épaule pour me demander…de rejoindre le podium ! Moi, on ne m'interroge pas pour vanter mon palmarès, mais pour en savoir plus sur les raisons de ma tenue vestimentaire !

Je m'explique non sans une petite appréhension mais avec un grand plaisir malgré tout, devant 2700 coureurs qui n'attendent plus qu'une chose…qu'on donne le départ !

Ma petite interview terminée, je rejoins la ligne, ébloui par le projecteur de la caméra qui me filme, comme un lapin pris dans les phares d'une auto. A ce moment j'ai réellement l'impression d'être une star…enfin j'en ai le costume !

A ma droite, un « orange » du team Quechua, Vincent Delebarre.

A ma gauche, les « rouges » du Team Salomon, Christophe Malardé et Thomas Lorblanchet, (vainqueur 07) que je découvre pour la première fois.

A l'extrémité, les « blancs » du team Adidas, avec notamment Thierry Breuil et David Laget.

Chaque camp est regroupé, la croisade peu commencer.

Les minutes, puis les secondes s'égrènent avant que les troupes ne partent à l'assaut.

Départ au bon vieux fusil. Pan !!!

Libération. A ma grande surprise, Thomas L. part en trombe. Innocent, inexpérimenté, peut- être simplement inconscient, je saute dans sa foulée  Je n'en vois même pas les feux de bengale s'embraser de part et d'autre de la ligne de départ qui donnent subitement une ambiance d'incendie.

Surprise ! Après 150 mètres, Thomas stoppe net son effort pour retourner au chaud dans le paquet de tête. Je réagis en réduisant la vapeur pour adopter une allure « de trot » cependant un peu trop élevée puisque je me retrouve propulsé en tête, devant plus de 2500 pèlerins.

La chevauchée vient de commencer qui nous mènera en Terre Sainte, ou du moins à la quête du Saint des Saint…la tunique estampillée de Finisher.

Mais pour l'instant, loin de tout schéma tactique programmé, je suis devant. Après 300 mètres, sans le vouloir, on se retrouve même à deux avec une dizaine de mètres d'avance. Certainement moins fou que moi, au bout de la dernière des rues éclairées de la bourgade, l'autre stoppe à son tour les machines pour se laisser rejoindre par l'avant garde et m'abandonne à mon sort. Mon sort justement, je n'ai que quelques secondes pour en décider.

Soit je me rallie confortablement à la majorité, comme un mouton de Panurge et me laisse reprendre à mon tour. Soit je pars à l'aventure seul, en franc tireur, n'écoutant que mon corps et mes sensations et je fais ma course en gardant cette allure qui m'a tout à fait l'air « raisonnable ».

Je ne tergiverse pas longtemps, et décide de garder mon rythme, tout en me disant qu'ils me reprendront bien d'ici quelques hectomètres.

Au bout de la ligne droite, l'éclairage public cesse. Quelques mètres plus loin, seul dans le noir, une trentaine de mètre devant ceux qui semblent pour l'instant considérer la course comme un pèlerinage, je me décide à allumer ma frontale.

Au bout d'un kilomètre, la route bifurque sur la droite et s'élève. Aucun mouvement derrière…je me mets à rêver (un peu tôt) que je suis un super-chevalier capable de boucler les 72 km des Templiers en tête du début à la fin…

La pente est bien marquée. Malgré tout je me sens tout aussi à l'aise et continue mon petit train en éclaireur sans plus me préoccuper de mes poursuivants.

Je progresse seul dans le noir avec ma petite frontale qui n'arrive pas à percer le voile brumeux. L'encre de cette nuit est rendue encore plus sombre par l'absence totale de lune.

Après 3 km ; la route principale file tout droit. Je la quitte pour emprunter le lacet d'une petite route sur la droite. La pente est la même. Je surplombe la route que je viens de parcourir. Elle est illuminée de milliers de lucioles, le peloton s'étire déjà sur près d'un kilomètre.

Encore 1 km de cette route et le trail commence enfin. Un chemin que je reconnais pour l'avoir fait la veille. Ma mini lampe est bien suffisante finalement, fixée sur le bout de ma visière, elle ne gêne aucunement.

Maintenant c'est la vraie solitude, pas même une lueur de lampe sur le chemin derrière moi…le chevalier se retrouve seul pour mener sa croisade.

Je poursuis mon aventure en tête avec la sensation de faire tourner la machine à son rythme. Pas de surprise avec les quelques bifurcations, et la pente se digère aisément. Bientôt je retrouve le champ de la veille, puis l'épingle à cheveux. De l'autre coté du champ, les premières frontales scintillent.

Je continue ma course, tranquille jusqu'à présent, pour arriver bientôt au pied du monstre, du mur, de LA difficulté de ce début de parcours. J'ai en mémoire l'image d'un Dachiri Sherpa en train de me doubler avec sa petite foulée économique lors de la 6000D. J'entame l'ascension avec cette image en tête, et je sautille sur l'intégralité de la montée. Non loin du sommet, des lumières brillent. Trois spectateurs descendent dans ce mur, il est certain qu'ils auront le temps de voir les coureurs !

Dans cette ascension, je n'ai pas l'impression de forcer, mais peut être est ce déjà trop pour les 65km qui me restent à parcourir ?

Deux minutes après avoir entamé ma grimpée, j'arrive enfin au sommet. Heureux d'être arrivée tout là haut premier. Sur cette crête qui domine la vallée, je prends le temps de me retourner 5'' pour admirer le paysage.

Baigné dans un océan noir, je reste bouche bée, admiratif devant ce long fleuve de lumière qui serpente à travers les champs et chemins. Ce fleuve dont je suis la première goutte d'eau. Je contemple ce long filament dont le début commence derrière moi en bas de la descente.

A ce sommet, je me dis qu'au moins, j'aurais vécu cet instant où j'ai pu voir la totalité de la course du haut de mon observatoire. Un bref moment gravé dans ma mémoire de Templier des temps modernes.

Ces quelques secondes de répit passées, je repars, faisant la trace à travers les herbes hautes.

Bientôt première descente et concentration sur les pièges du sol. Une entorse et ce serait la fin de l'aventure. J'abandonne cette mini-savane pour retrouver le chemin raviné, me permettant de relâcher un peu ma vigilance. J'allonge la foulée. La visibilité limitée par la portée de ma frontale, ma vitesse s'en ressent et je suis obligé de freiner légèrement. J'arrive à la partie de goudron de 200 à 300 mètres qui mène à la route. La pente est raide et je me laisse gentiment « glisser » vers les lueurs qui apparaissent tout en bas.

Avec ma lumière sur la tête, on me voit venir ! Les quelques spectateurs et bénévoles assurant la sécurité de la traversée de la route m'encouragent…en se tournant vers moi avec leurs frontales. Résultat, je suis ébloui et n'y vois strictement plus rien ! Je me protège les yeux comme je peux jusqu'à la route que je traverse sans ralentir. Quelques voitures sont garées en sauve qui peut au bord  pour nous voir passer. L'avance sur mes poursuivants s'est accentuée. Je file dans le champ où le cheminement passablement sauvage est balisé grâce à des taches de peinture orange. La descente prend bientôt fin, et le faux plat reprend ses droits. La pente n'est pas bien difficile et je suis, heureusement, encore super bien avec cette impression agréable de pouvoir courir des heures à cette allure. Mes poursuivants tardent à pointer leur nez dans cette partie pourtant bien dégagée. Je suppose que mon avance est due à l'habitude que j'ai de courir en nocturne lors de mes entraînements, au fait que les montées m'avantagent…et peut être au fait que nous n'avons encore pas rencontré de vraies descentes dans lesquelles je suis loin d'exceller.

Pour l'instant, un tunnel étroit en forme de buse pour passer sous une route puis montée en goudron jusqu'à une ferme. De mémoire ce doit être le lieu-dit Comberedonde. En haut, une voiture…qui se presse de s'écarter pour laisser le passage. Je remercie, on m'encourage. Faux plat descendant. La voie est libre, personne devant, personne derrière si ce n'est la voiture qui est finalement descendue et qui se rapproche de moi. Un bon kilomètre vient de passer sur cette piste et malgré les longues lignes droites je ne vois toujours personne derrière…la course aurait elle était arrêtée sans qu'on me prévienne ? Pendant ce temps, la voiture se rapproche dangereusement de moi…je flaire son envie de me doubler. Je profite d'un bas-côté un peu plus propre pour m'écarter et faire signe à la voiture qui ronronne derrière moi.

Elle me précède donc dans le tunnel qui suit et qui apporte une petite bouffée de fraîcheur.  Cette voie de chemin de fer désaffectée est agréable et me permet de déployer une foulée plus ample. Mais cette situation en tête de course m'occupe sans arrêt l'esprit. Comment l'expliquer ? Derrière ils doivent me prendre pour un rigolo déguisé venu pour amuser la galerie ? Peu importe, je suis dans ma course…je fais ma course…

Les quelques sentiers qui partent du chemin sont barrés de rubalise, le fléchage est parfait, je n'ai donc pas à me soucier de cette fin de parcours reconnue la veille.

Une portion roulante : j'en profite pour déguster ma première banane. Sur 72km, gare à l'hypoglycémie…je connais déjà ! Vu le poids de ravitaillement que j'ai pris, autant commencer tôt pour me délester ! Et puis, le trail étant à l'origine une course en autosuffisance, essayons de rester dans l'esprit et d'éviter les ravitaillements mis à notre disposition…

La colline se profile, grandit, devient bientôt un mur. Le chemin s'engouffre dans la végétation, puis s'enfonce dans la colline. Voilà…ça y est,  la voie pénètre sous terre pour la deuxième fois : trou noir. Ma reconnaissance de la veille s'arrête là : bonjour l'aventure, bonjour l'inconnu.

Frontale allumée, je pénètre dans l'obscurité. La fraîcheur à nouveau me fait frissonner. Quelques mètres dans ces ténèbres, et surgit devant moi une masse encore plus sombre. Ma frontale fait briller des lueurs. Les organisateurs ont décoré de rubalise un engin agraire en bois datant d'une autre époque, une vraie pièce de collection ! Un peu plus loin dans ce gouffre un, puis deux autres appareils agricoles sont stockés. Près d'un kilomètre de tunnel et enfin la faible lueur du jour au loin. Ca y est un nouveau paysage apparaît et bientôt quelques spectateurs. Même scénario que lors de la traversée de la route : me voyant arriver, ils se tournent dans ma direction, braquant involontairement sur moi leurs frontales qui m'éblouissent. Ils ont l'air surpris de voir un Templiers débarquer seul, m'encouragent, puis se tournent derrière moi pour voir mes poursuivants…qui ne sont pas en vue !

Route en descente, je déroule. Un spectateur m'encourage : « Allez chevalier ! » Je suis reconnu !…

Entrée dans le village. Le dossard, en bas de la tunique sous le porte gourde, ne se voit pas beaucoup…les premiers spectateurs semblent hésitants à la vue de ma tenue. Les organisateurs auraient-ils payé un figurant pour faire patienter en attendant avant le passage des coureurs ? En pénétrant dans le village, les accompagnateurs deviennent plus denses, je remets ma cagoule…passer inaperçu, ça va pas être facile, mais essayons ! N'ayant aucun véhicule pour ouvrir la route, la plupart sont surpris par mon arrivée et ne me voient réellement qu'une fois passé…Virage à gauche dans le village, les tables de ravitaillement en eau sont prêtes…je passe sans arrêter…mes bidons sont encore bien pleins !

Sauclières…pas d'arrêt !

Me voilà au 15ème kilomètre…plus que 57km et je ne ressens encore aucune fatigue. Je trace vers la sortie du village, à travers la foule qui se dirige à contre sens…Je slalome, ils ne comprennent pas bien ma présence…un homme venu du XIIème siècle ici ?

La fin du village approche. Lorsqu'on ne s'écarte pas sur mon passage, je me faufile. J'entends quelques encouragements. Au dernier moment, une personne lance « Tiens c'est Clavery ! »…zut…je suis débusqué, il faut filer !

Je rejoins la route chargée de voitures qui arrivent pour encourager leurs poulains. Quelques mètres sur cette route, puis je m'esquive sur la droite dans un petit chemin en descente. Retour à la solitude. Mais pourquoi aucun autre coureur n'a voulu m'accompagner ? Ils sont sages ou je suis fou ?

Le chemin s'élève rapidement. Prochain objectif : le col de la Guérite. Bien entendu, je ralentis l'allure au fur et à mesure que la pente s'accentue. Puis le chemin devient régulier et me permet de courir à un rythme de croisière raisonnable mais efficace en me préservant. Traversée d'une forêt, deux ou trois maisons, certainement le lieudit de La Combe. La voiture qui m'a doublé une heure avant est là, sur le côté, avec un organisateur me regardant d'un air perplexe…J'ai l'impression d'être un drôle d'animal.

La vue se dégage. Les lueurs du jour naissant éclaircissent le ciel. J'éteints ma lampe, ça m'évitera de me faire repérer par ceux qui sont derrière ! Quelques portions un peu plus plates me permettent de récupérer de la côte précédente, puis c'est à nouveau l'ascension d'un mont pelé sans arbre. On voit bien le chemin qui s'y élève  et les 2 épingles à cheveux. L'allure ralentit. Seul, personne à l'horizon, aussi bien devant que derrière. A l'occasion d'un lacet, je jette un œil en contrebas et vois enfin pour la première fois depuis le départ, non plus des lampes frontales, mais bel et bien des coureurs ! Ils sont une bonne dizaine, des maillots rouges, des maillots blancs… J'arrive en haut. La vue est dégagée, magnifique. Le ciel est orangé. A l'ouest une mer de nuage recouvre la vallée. Nant est là-dessous. A ma droite, le soleil n'est pas encore levé. Et pourquoi ne pas être le premier à le voir se lever sur le Saint Graal…euh pardon le Saint Guiral ? Je bascule de l'autre coté sur une bonne descente large et dégagée, avec des ornières importantes, mais je file maintenant à la lumière du jour.

Je rejoins la forêt pour m'y noyer, alors que mes poursuivants pointent leurs nez tout là haut derrière, tous groupés.

Je suis encore à mon train, en aisance, la fatigue ne se fait pas ressentir. J'accumule les kilomètres horizontaux, les mètres verticaux, j'arrive au 25ème kilomètre.

Une voiture un peu plus loin…toujours la même…toujours les mêmes regards désintéressés…J'imagine la réflexion intérieure : quand est ce que ce charlot va laisser la première place à un vrai favori ?

Le sommet est dégagé. Sur la gauche, à travers le vallon, toujours cette océan de nuage qui baigne Saint Jean de Bruel. Le chemin à nouveau redescend, je viens donc de franchir le col de la Guérite. La piste caillouteuse qu'il me faut dévaler est recouverte de feuilles.

Au loin, au niveau d'un virage en épingle, 3 ou 4 personnes attendent.

Ca y est ! Parmi elles j'en reconnais une! C'est mon père ! Je n'ai pas encore vu mes parents depuis le départ. Déjà 2h30 que je cours et c'est la première fois que je les vois !

 J'apprendrai plus tard qu'une suite de déboires leur a fait rater tous les passages précédents. Par contre ils sont les seuls spectateurs à avoir réussi à atteindre ce point de montagne paumé au milieu de nulle part. A peine arrivés là ils ont entendu à la radio du commissaire en faction l'annonce du passage des premiers au col précédent. Ils s'attendaient à voir arriver les premiers…pas un premier et encore moins moi ! Quelle surprise !

Dans ma tenue de chevalier, avec la croix couleur de sang, je lève les bras…une victoire. Je m'attends à entendre dire que je suis parti trop vite…c'est évident, mais en fait ce sont surtout des encouragements que je vais recevoir ! Je prends un réel plaisir à passer devant eux seul…en tête. Ce n'est que le 28ème kilomètre, bien loin encore de l'arrivée, mais j'en suis tout de même heureux !

Dans le virage, mon père est seul. Surpris par mon arrivée je lui fais remarquer au passage qu'il ne pourra pas prendre de photo avec le bouchon sur l'objectif ! Sitôt le lacet surgit une sérieuse rampe…le pied du Saint Guiral.

Ma mère m'attend au milieu. Je laisse mon père en bas, et au petit trot, je monte. Le pourcentage est costaud. Trottiner, il faut trottiner, et ne pas s'arrêter. Peut être est-ce une erreur, peut-être que je puise dans mes réserve ? Tant pis j'avance. Ma mère m'encourage lorsque je passe à son niveau. Elle a l'air fière de moi ! Il vaut mieux en profiter !!

Je la dépasse, elle redescend, et j'entends durant toute mon escalade leurs encouragements du bas du poste du contrôle, en bas.

Plus tard ils me confieront que le commissaire présent, un vieil habitué connaisseur de la course et des favoris, ne donnait pas cher de mes chances, répétant à plusieurs reprises : « Ici la course n'est pas encore commencée ! Il se sera fait plaisir sur un marathon… »

Me voilà maintenant au pied du toit des Templiers, le Saint Guiral.

Un petit kilomètre de montée bien raide, et je me retrouve sur la crête qui m'emmène tout droit vers le sommet de la montagne. La vue est grandiose, je m'octroie le temps de regarder à droite, de regarder à gauche. Je marque l'événement en mangeant ma deuxième banane. Le rythme est bon, 1 banane à l'heure devrait faire l'affaire!

Rapidement, le panorama est caché par quelques arbres, puis par une forêt. Le chemin à disparu. Je m'imagine, dans ma tenue templière, près de mille ans en arrière. Je longe un petit muret qui dépasse à peine d'un parterre de feuilles mortes tirant entre l'orange et le marron.

Un muret en pleine forêt…une délimitation, une ligne de vie que je suis au plus près.

Je repense à toute cette saison, à ceux qui m'ont adressé leurs soutien, peut-être à ceux qui pourraient croire en mes chances…Quelles sont elles ? En tout cas je mène toujours et la trentaine de kilomètres est passée.

Surprise : un homme à cet endroit perdu au milieu de la forêt…au milieu des arbres…Il m'annonce que nous y sommes…en haut, au sommet, à près de 1400 mètres d'altitude. Un autre est là aussi, il m'accompagne…Enfin un peu de compagnie ! Il reste derrière, m'indique les directions, son sac à dos sur les épaules.

Saint Guiral…30,5km…2h28'…1er.

Le sommet passé, on ne sait pas bien si on descend ou si on monte. Une succession de petites descentes, petites montées, des cairns hauts d'un bon mètre cinquante, une forêt clairsemée…pendant près de 2km.

En bout de cette portion un peu étrange, le paysage se dégage, le soleil maintenant me réchauffe. Mon accompagnateur de fortune s'arrête dans un dernier encouragement, et le profil de la course change soudain. Je me retrouve devant un mur…à descendre !

La descente du Saint Guiral… Je longe des barbelés, le sol est dégagé, je me crée mon sentier à travers les touffes d'herbes. Pas bien à l'aise dans cette descente, j'appréhende chaque foulée, j'avance à tâtons…dur dur !

En cours de descente, je croise quelques spectateurs bienveillants qui m'encouragent.

Cette descente rapide malgré mes hésitations se termine sur une route que l'on traverse. A la route, je me retourne pour avoir la surprise de découvrir 5 gars sur mes talons…et Dourbies qui se trouve juste de l'autre coté de cette petite côte…

Je traverse la route et entame l'escalade du sentier qui part en face…j'y mets les mains !

Un raidillon d'une centaine de mètres. Les poursuivants sont en bas…ma croisade en solitaire semble toucher à sa fin.

Reboosté, je saute les rochers, passe la Rouvière rapidement sous les encouragements des quelques habitants et des enfants, ravis de voir ma tenue. Je longe le chemin à flan de coteaux et découvre enfin le village de Dourbies. Ce sera la fin de la dernière étape avant la relève de la garde en tête des Templiers 08 ! Je m'engage dans un bois, sur la pente descendante d'un sentier recouvert de feuilles encore humides de la nuit…une pente glissante à souhait qui me voit avancer prudemment. On sent l'approche du village au nombre grossissant de spectateurs. En bas une rivière et un pont. Les bénévoles me mettent en garde…pont très glissant…je le passe presque en marchant. Une patinoire !

A droite après le pont, je longe la rivière, puis virage à gauche, escalier…on m'encourage…mais j'entends rapidement des « allez Thomas !! »…non non, moi c'est Erik !

Je me retourne, un trailer en rouge, concentré, c'est Thomas Lorblanchet…

Comment pourrais-je me faire rattraper, moi le « chevalier » qu'on encourage, avant la prise de ce village ? Des spectateurs nous encouragent de toutes parts. Certains massés en bord de ruelle, d'autres à des embranchements, d'autres encore perchés sur la place qui surplombe.

Je fais le petit effort suffisant pour gravir en tête les escaliers et arriver le premier sur la place du village de Dourbies.

Entrée du ravitaillement de Dourbies…37,5km…3h00'…1er.

Mes bidons sont vides. Je les ouvre pour les faire remplir dans la salle…A l'intérieur on me dit d'aller dehors…j'y vais et on me les remplit enfin. Pendant ce temps, dans mon dos, Thomas Lorblanchet, Christophe Malardé, Thierry Breuil, David Laget, Ludovic Pommeret me doublent. Leurs « ravitailleurs » de Team échangent leurs bidons vides contre des pleins…bilan de l'opération : 2''. Moi j'ai pas de Team…alors je fais le plein moi-même !

Je veux prendre du ravitaillement solide. Zut, ça c'est dans la salle ! Tant pis, pas de demi-tour, je saute dans le train pendant qu'il est encore là…nous sommes 6.

Sortie du ravitaillement de Dourbies…37,6km…3h01'…6ème.

Me voilà au chaud dans le peloton de tête et je profite de cet éphémère instant durant lequel je ne cours pas tout seul. Pour la première fois je cours avec Thomas Lorblanchet, vainqueur 2007. Ca dure 30'', le temps de le laisser me doubler ! Un regard, il est concentré, il est bien…il est fort !

Dès cette sortie de ravitaillement, le sentier s'élève, direction la Crète de Suquet. Ils me faussent compagnie. Ils ont accéléré la cadence. Et moi, c'est le coup de massue. Premier depuis 37,5km…j'aurai été en tête plus de la moitié du parcours qui en compte 72. Mais je me suis usé tout seul, et le but du jeu est parait-il d'être premier au 72ème kilomètre…pas au 37ème ! On dira que c'est comme ça que se forge l'expérience !

Devant, je les vois s'éloigner irrémédiablement. Diable ! Et on disait les Templiers endiablés…c'est une montée aux enfers qui commence…il faut aller tout là haut ! Monter, descendre, c'est le programme de cette journée.

Pour moi, c'est le début d'une deuxième moitié de parcours en forme de sauve qui peut, d'opération survie…Quelle idée d'oser s'habiller en Templiers…tout le monde sait qu'ils ont mal terminé ! Tant pis pour moi. Je profite de ma solitude, sur un versant ensoleillé, pour retirer mes manchettes argentées ainsi que ma cagoule et les glisser sous ma ceinture.

J'avais repéré cette montée bien avant l'épreuve. C'est celle que j'appréhendais le plus, que je pensais la plus dure, où je me disais secrètement qu'il fallait arriver frais…C'est plus vraiment le cas. Même si les jambes ne sont pas trop cuite, le mental en a pris un coup. Je me suis fait doubler !

Tant pis, je marche…J'essaye de me remémorer la 6000D, de me remémorer l'instant où après 1 heure de course, lorsque Coco Favre m'avait doublé, j'avais pris son rythme, ce qui m'avait permis de me relancer et de très bien terminer. J'essaye de reproduire cette montée à la Plagne 2000…mais Corine n'est pas là…et je dois me contenter de marcher en m'imposant un rythme soutenu…Dur ! Epingles à cheveux, lacets, montées…

Une consolation, la vue sur Dourbies que nous dominons maintenant est magnifique, le temps est splendide…Tout pourrait aller pour le mieux, mais regarder en contrebas me fait apercevoir sur le chemin que je viens de parcourir d'autres concurrents pas bien loin de moi.

Un lacet en dessous, je reconnais Vincent Delebarre dans sa tenue orange Quechua. Il marche aussi…faible consolation…Le haut de la crête se rapproche. Vincent me double à quelques mètres du sommet…je le laisse aller. En haut, un alpage, la pente s'adoucit, on passe un portillon et on entame une partie plate…je ne vois déjà plus Vincent…

S'ensuit un calvaire. Sur cette crête, un bois, et sous un lit de feuilles mortes, des pierres. Peut- être la fatigue, je ne cesse de me heurter les pieds sur des cailloux traîtres cachés sous ces feuilles. Mes pieds souffrent…mes ongles dégustent !

Je suis heureux de sortir de cette zone, mais malheureux d'arriver sur une longue descente technique, glissante, étroite, pentue, terreuse. Je glisse, me rétablit en m'agrippant à un arbre. Je bute sur un caillou, ne me rétablit pas…me retrouve à plat ventre en travers du chemin, le ventre sur le chemin, les pieds dans le ravin ! Je me remets sur les pieds, repars, craintif, plus lentement. Il est évident que je perds du temps…la prochaine fois, c'est promis, je ferai une préparation spécifique de descente !

J'enchaîne les virages, sans répit, concentré sur mes appuis. Le dernier tiers de la descente est encore plus lent… et un autre trailer me dépasse, me dépose. Je reste calme…aller au bout, c'est l'objectif maintenant. Je suis encore 7ème.

Enfin, j'arrive en bas, au niveau de la route. Je passe un pont, tourne à droite, passe sous le pont pour entrer dans Trèves…47ème kilomètre…plus que 25 kilomètres !

On remonte aussitôt en prenant un sentier au milieu de nulle part, et c'est à nouveau en marchant que j'attaque cette nouvelle côte. Elle commence sèchement et un gars me rejoint encore. Feuillages épais, ombre puis nous ressortons au soleil un peu plus loin…je me retrouve 8ème !

Lorsque le sentier sort du couvert, la pente s'adoucit. Soulagement ! J'alterne marche et course, une seule idée en tête…avancer.

Les kilomètres défilent de moins en moins vite, mais en haut, au loin, j'aperçois le ravitaillement suivant de Causse Bégon. Un petit hameau animé par un gros ravitaillement. J'y prends mon temps. Mange mon gruyère, me réhydrate, souffle, et repars. Encore deux autres qui me sont passés sous le nez…Je sombre lentement.

Sortie de Causse Bégon, un spectateur m'adresse la parole : « A l'époque, c'était plus facile…ils avaient des chevaux… » … « Ben j'aimerais bien en avoir un aujourd'hui ! »

Et mes parents ? Je ne les vois pas…où sont mes parents ? Un petit réconfort me ferait pourtant du bien !

J'ignore que pendant ce temps là, après avoir fait des kilomètres de piste forestière pour redescendre du Saint Guiral et s'être heurté à une déviation à Dourbies ils ont galéré pour trouver une station service, à la limite de la panne de gas-oil. Ils avaient prévu de me voir 7 fois, ils me verront 2 fois !

Une longue portion de faux plats, tantôt montants tantôt descendants, propice à une progression acceptable. C'est 5km à ce rythme que j'engrange dans mon escarcelle et qui m'amènent à Tioules. Commence bientôt la descente sur Saint Sulpice…aussi technique que celle sur Dourbies. Je me prends deux bûches…ça devait finir ainsi…les Templiers n'ont-ils pas fini au bûcher ? Descente à l'ombre. Triste versant, triste descente.

Je commence à en avoir plein les jambes, la fatigue se fait sentir. Déjà 55km de parcourus… « plus que 17 » !

Arrivée en bas, passage à côté de Saint Sulpice…je ne me rappelle plus très bien…je ne suis pas sûr d'être complètement conscient à cet endroit…j'avale un « coup de fouet », un morceau de gruyère, je traverse une rivière, et puis je reviens à moi…je me souviens…la descente est terminée…il faut maintenant remonter.

Montée technique, rocheuse, une belle montée, mais un autre jour ! Là, ça ressemble plus à un chemin de croix…ça tombe bien j'en porte une sur ma tunique. Deux autres gars me doublent l'un après l'autre. Sauter dans leur pas, prendre leur rythme, mais pas maintenant, je ne peux pas, je reste à ma faible allure. Le soleil réapparaît derrière le Causse d'en face. Une renaissance, le bonheur de retrouver le soleil pour me réchauffer ou le fait tout simplement d'avoir mangé un peu, je repars en trottinant. J'atteints la crête. Il faut maintenant la longer, il ne me reste plus qu'une montée, celle du Roc Nantais, la plus facile à mes yeux, et deux descentes au soleil, celle de Cantobre et celle de Nant, technique mais belle paraît il !

Sur la crête, le chemin longe le vide. Un pas de travers et ce serait ma descente la plus rapide de la journée ! La vue est magnifique, mais dangereuse. Les jambes, bien que commençant à être lourdes reprennent des forces peu à peu sur cette partie roulante. Je me permets même le luxe de doubler le seul concurrent que j'aurai doublé dans la course. Il m'avait dépassé quelques instants plus tôt…Il me repassera 1 kilomètre plus loin !

Bientôt la descente sur Cantobre. Elle est réputée…j'attends de voir. Avant l'attaque, une tente…des sauveteurs qui m'encouragent. Je leur demande le chemin. Ils m'indiquent tout droit… « mais tout droit… ? » ma vue est limitée par un rocher qui surplombe le vide. Je continue selon leur conseil en avançant prudemment…mais non, c'est pas le vide, juste une marche, la première de la descente.

Pour la première fois de la course, une descente que j'apprécie !

Avec mes capacités de piètre descendeur, je dévale les rochers, je saute de l'un à l'autre, m'imaginant à la place de mon frère, qui ferait un festival sur ces portions.

Partie de slalom dans les lacets. Passage spectaculaire et impressionnant sous la falaise d'où l'on domine le village. Le sentier poursuit sa descente jusqu'à débouler dans un champ, de l'autre coté duquel se trouve le dernier ravitaillement. Au loin, mon père…c'est lui. Juste après, ma mère…enfin !

C'est en chevalier déchu que j'arrive vers eux.

Mon père me propose une gourde que j'avais préparée. Je lui échange contre celle que je viens de vider. J'entre dans la zone de ravitaillement et j'écluse tout en marchant, les verres les uns après les autres. Un, deux, sept gobelets vidés successivement !

Mes parents suivent en parallèle. Je ressors du parc. Ils m'encouragent, ils sont là…je dois courir…plus que 7,5 km…après 65 km, c'est bientôt fini !

Une petite partie de route durant laquelle mes parents m'escortent. Je ne compte plus les coureurs m'ayant doublé, mais apparemment, je suis 20ème…c'est déjà pas si mal.

Je tourne à gauche, laisse la route, laisse mes parents pour la dernière partie…une rigolade !

Malgré tout, cette dernière côte est sévère, on laisse le chemin pour s'engager dans un canyon qui monte sec. Mais peu de temps puisqu'un palier me permet de décompresser un peu.

Deuxième étape de la montée, elle est encore plus dure, à moitié dans des champs, des sentiers, sous les arbres, une belle montée à faire en balade. Mais là je suis en course et j'ai encore quelques kilomètres à faire pour pouvoir dire « J'ai fait les Templiers … en Templier ».

Cette dernière difficulté si proche de l'arrivée me semble rapide, je cours dès que la pente me le permet, je marche lorsque les jambes ne veulent plus, et ainsi de suite, jusqu'à ce que le Roc apparaisse au loin. On s'enfonce à nouveau en sous bois, la difficulté est moindre, je peux courir à nouveau. Quelques personnes m'encouragent, nous encouragent, puisque de nouveau un trailer s'apprête à me passer. Mais celui là, j'arrive à m'y accrocher. Il m'emmène jusqu'en haut.  Là-haut  des commissaires…je leur demande par acquis de conscience où est le Roc ? « Nous y sommes ! » « Pas trop tôt ! », après cette réplique d'anthologie, je m'esquive mais laisse partir mon binôme qui doit sentir l'écurie, et qui est surtout plus à l'aise que moi en descente !

Je ne sais pas où sont les suivants, mais maintenant, derrière un buisson, je découvre enfin Nant. Parti ce matin de là-bas à 5h15 en direction du Sud, j'en reviens après quelques heures de « balade », puis d'errance, par le Nord. Je sens à mon tour l'écurie, je remets mes manchettes, ma cagoule autour du cou, et me lance.

Il ne me reste plus que de la descente. Je lâche les freins, glisse, ne prends même pas la peine de m'agripper aux cordes de sécurité posées par l'organisation. Je déboule la pente, et reconnais enfin l'endroit où j'ai retrouvé mes parents la veille. La pente devient moins difficile, puis se transforme en faux plat. Je longe le mur, trottine là où la veille je galopais. Au bout du chemin, la rivière, virage à gauche, 200 mètres de chemin puis montée sur le pont. Derrière, personne, je peux rester serein, je ne ferais pas dans les 10 premiers comme c'était mon objectif au dé



11/11/2008
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