La Diagonale des Fous vue par l’équipe d’assistance du n° 1641
Jeudi 18 octobre 2007
9h : réveil.
C'est une longue journée qui se prépare, ou plutôt plusieurs longues journées.
Tout le monde s'affaire. Grand check-up : nourriture, boissons, glacières, camelback, chaussures et tenue de course en plusieurs exemplaires, dossard, appareils photo, portables, trousse à pharmacie, frontales, cartes de l'île…la matinée passe vite.
Début d'après midi, le n°1641 (Yankell, mon frère !), retourne au lit pour une petite sieste de 2/3 heures. De mon côté, trop excité et impatient, je regarde la télé, je ne peux fermer l'œil !
Bien que seulement assistant, c'est une grande expérience qui m'attend. Je vais être le témoin de l'une des courses les plus dures au monde, une course mythique qui fait désormais office de référence parmi les courses en pleine nature. Ce trail de légende officiellement appelé « Grand Raid » est en fait plus connu en métropole sous le nom de « Diagonale des Fous » !!!
Et on comprend pourquoi quand on a eu l'occasion de reconnaître quelques portions...
Au programme pour les concurrents, la traversée de l'Ile depuis le Sud (Saint Philippe – Cap Méchant), jusqu'au Nord (Stade de La Redoute à Saint Denis).
Départ et arrivée au niveau de la mer. Mais avant d'atteindre l'arrivée, il faut passer via le Volcan de la Fournaise (2320m), l'Oratoire Sainte Thérèse (2400m), la plaine des Cafres – Mare à Boue (1594m), Caverne Dufour (2484m), Cilaos (1224m), Col du Taibit (2080m), Trois Roches (1220m), Rivière des Galets (1100m), La Nouvelle (1440m), Col des Fourches (1942m), Aurère (930m), Deux-Bras (255m), Dos d'Ane (1064m), Kiosque d'Affouches (1050m) pour une arrivée au stade de Saint Denis au bout de 150 km de course à pied et pas moins de 9020 m de dénivelé positif !
Certains passages, ou le sentier n'excède pas 30cm de large, avec d'un coté la paroi de lave et de l'autre une marche de…200 mètres de haut ( !), paraissent d'autant plus kamikazes qu'on les aborde après une centaine de kilomètres de course et 1 voire 2 nuits blanches pour certains...
Pas le droit à l'erreur pour les 2500 inscrits à cette épreuve !
Bref, mon jeudi après midi s'écoule dans l'impatience de pouvoir enfin « prendre le départ » du Grand Raid…en tant qu'assistance. Pour m'accompagner, il y a Laëtitia. Nous ne serons pas trop de 2 pour remettre en état et bichonner mon frère sur les points de ravitaillements ! Mon frère a réquisitionné ma lampe frontale (avec 2 lampes c'est encore mieux !), mes chaussettes, mon lecteur MP3 (pour mieux digérer les ascensions !) pour compléter son équipement ! Si je ne cours pas, c'est quand même une petite partie de moi-même qui participe…
La sieste terminée, nous empaquetons toutes les affaires. Puis l'heure du départ sonne bientôt. Vincent, le stewart d'Air Austral, fera partie du voyage entre l'appart à Boucan Canot et Saint Philippe. Il ne se contentera pas de nous accompagner puisque lui aussi court !
Nous décollons de l'appartement à 19h00. En cours de route, à Saint Pierre, nous faisons une halte d'une petite heure pour un petit en-cas. Ce sera probablement pour Laëtitia et moi le dernier pour les 40 prochaines heures…Au menu de ce petit resto sympa, carry de poulet pour mon frère, rougaille saucisse pour Vincent et carry d'espadon pour moi…un délice !
A 21h, nous repartons pour une heure de route et nous retrouver sur le site de départ à H-2 avant le Grand Départ.
Nos deux athlètes profitent de ces derniers instants pour tenter, si ce n'est de dormir, au moins de se reposer dans la voiture. Laëtitia et moi visitons le site pour les laisser somnoler en paix. Sur le stade, les projecteurs illuminent l'enclos ou déjà quelques athlètes patientent assis derrière la ligne de départ. D'autres sont étendus derrière des arbres pour tenter eux aussi un dernier repos. La musique, à base de zouk, fait écho dans toute la bourgade.
On ressent tout autour de nous une grande sérénité, un grand calme malgré les hauts parleurs qui déversent de la musique. C'est un peu le calme qui précède les grands événements.
La famille, les amis viennent accompagner, encourager et aider une dernière fois leurs poulains avant que ceux-ci n'entrent dans l'arène et ne puissent plus être accessibles.
Pas de pluie pour gâcher la fête. La météo est favorable. Tout est parfait !
Nous rencontrons quelques amis, dont certains venus pour participer au Grand Défi. Petits échanges puis pour eux c'est l'immersion définitive dans la course.
Retour à la voiture. Vincent et Yankell n'ont bien sûr pas dormi. Yankell est prêt et vérifie une dernière fois ses affaires. Un petit gilet pour se protéger du frais nocturne (24° !!!) avant le départ, son camelback. Il troque ses tongs (savates en réunionnais) pour ses chaussures de trail, et Vincent l'imite. Coup d'œil à la montre : 23h. Plus qu'une heure !!!
Nous nous dirigeons vers le sas d'entrée de l'enclos de départ réservé aux athlètes. Petit tour rapide du site pour que notre poulain prenne la température du lieu, puis c'est décidé, il rejoint les « autres », ses adversaires, ses camarades de jeux, ses amis « fous ».
A partir de là, nous ne pourrons plus l'approcher qu'à distance. Pour lui, c'est la vérification du sac par les officiels. Rien ne doit manquer de la liste du matériel obligatoire : éclairage avec piles et ampoules de rechange, téléphone portable, couverture de survie et trousse à pharmacie. Café et pain au chocolat sont offerts à ceux qui le désirent. Pour Laëtitia et moi, c'est l'attente. Nous prenons place à un endroit qui nous permettra de le voir et d'être vus.
Pas manqué, il nous repère au milieu de tous les supporters. Une double rangée de barrière nous sépare. Interdit de donner quoi que ce soit. Des bénévoles sont là pour faire respecter ce règlement. A tel point que Yankell ne peut nous donner sa veste…tant pis, il nous la donnera après 500 mètres de course, là où nous le guetterons.
Derniers échanges, conseils, motivations et autres encouragements des derniers instants.
Il reste une dizaine de minutes avant le départ, mais on ne sent aucune tension dans la masse de concurrents qui commence à s'agglutiner sur la ligne. Ceux qui ont déjà participé à ce genre d'épreuves de longue haleine savent que sur la ligne de départ on est bien plus zen et moins stressés qu'avant d'aborder une compétition courte et violente qui va vous mettre dans le rouge en quelques secondes.
Laëtitia et moi prenons de l'avance sur la longue portion de bitume que les coureurs emprunteront dès le départ. Il s'agit de se poster pour voir passer Yankell et récupérer son pull. Je lui envoie un message sur son portable pour lui indiquer notre position… « Juste au dessous du lampadaire qui éclaire en blanc »
Minuit est tout proche. Là-bas sur la ligne de départ le haut parleur égraine le compte à rebours.
5…4…3…2…1…C'est parti !
C'est parti !!!
Au bout de quelques instants, une moto ouvreuse passe, puis une autre, puis une voiture de télévision, et enfin le premier concurrent avec sa frontale qui oscille au rythme des foulées. Le premier d'un longue, très longue file.
Pas de « fou » échappé. La majorité des favoris est devant. Ils restent sages, sachant ce qui les attend ! Mon frère lui n'arrive qu'après quelques minutes. Il nous lance son gilet au passage et disparaît aussitôt dans la nuit au sein d'une nuée de trailers. Quelques encouragements rapides, pas le temps de faire de photo, le voilà absorbé par la foule…
Il vient d'entamer l'étape qui le hissera au terme de plusieurs heures d'efforts près du sommet du Volcan de la Fournaise. Nous restons là fascinés, à contempler le flux des coureurs s'enfoncer dans l'obscurité. Maintenant, ce n'est plus au loin qu'une file de lucioles, alors qu'à notre niveau, le flot continue à s'écouler. D'un côté des milliers de spots lumineux qui s'approchent, de l'autre des milliers de silhouettes qui s'éloignent dans la nuit. Encore de longues minutes avant que ce défilé ne cesse. C'est un peloton de près de 2400 concurrents qui vient de défiler devant notre nez. Une masse impressionnante close par des raideurs qui attaquent leur périple en marche soutenue. Le tout dernier passe devant nous tranquillement, saluant les spectateurs dont la plupart retournent déjà à leurs voitures.
Retour à la voiture. Petit calcul rapide : il est 0h10, l'année dernière Yankell à mis 5h30 pour arriver au PC course du Volcan. Au mieux, vu son entraînement, nous estimons qu'il ne pourra pas améliorer ce temps de plus de 15'. Nous tablons donc sur 5h15'. Nous partons aussitôt en voiture direction le sommet pour trouver une place à coté du PC. Après 2h30 de route, nous arrivons enfin au lieu de passage. Il est 3h du matin. Pour profiter de notre petit répit, nous mettons nos réveils à sonner à 5h10'. Nous n'aurons qu'à sauter de la voiture pour voir passer notre poulain !
Curieux, je laisse Laëtitia somnoler et je vais faire le tour du site…il fait 3° ! C'est que nous sommes à 2300m d'altitude… alors que quelques heures plus tôt, le thermomètre indiquait 20° au Cap Méchant… Dur dur !
Sur le PC, déjà beaucoup de monde. Des bénévoles en masse qui vont et viennent sous les tentes, autour des popotes et à l'entrée du poste. Mais également des supporters, ceux là regroupés autour de bidons métalliques dans lesquels brûlent des morceaux de palettes.
On se croirait autour d'un feu de camp de SDF ou dans une manif ! Mais ces petits feux sont malgré tout bien agréables !
Après quelques minutes dans cette ambiance, je commence néanmoins à grelotter. Je n'ai sur moi qu'un tee-shirt et une micro-polaire. Je retourne vite à la voiture pour enfiler 2 épaisseurs supplémentaires, puis voyant l'heure, retourne à l'entrée du poste. Les premiers ne devraient pas tarder, il est 3h30 ! Je n'attends que 20' avant de voir l'homme de tête se présenter. Puis Delebarre le vainqueur de l'année passée en 2ème position. Il se palpe le mollet. A ce niveau de la course, c'est pas bon signe ! J'assiste au passage des deux suivants, puis calculant que Yankell ne devrait pas arriver avant une heure, je décide d'aller faire une petite sieste dans la voiture.
Laëtitia somnole à coté. J'allonge mon siège pour l'imiter. A peine le temps de commencer à m'endormir que le téléphone de Laëtitia nous réveille en sursaut…c'est Yankell…
Il est 4h45 ! Il devrait arriver au mieux à 5h15 soit dans 45'…que se passe-t-il ? Une blessure, pire un accident ?
Elle décroche… « J'arrive au PC course dans quelques minutes…vous faites quoi ??? »… « Ben…on dormait ! On arrive ! » J'enfile mes chaussures. Laëtitia, le temps de se réveiller, met un peu plus de temps. On saute de la voiture. Elle est garée près de la sortie du PC. On remonte la course à contre sens. Je prends quelques longueurs d'avance, et, mais oui ! c'est Yankell qui apparaît à la sortie du poste de contrôle ! En me voyant, il s'assied et vide tranquillement ses chaussures des grains de lave qui s'y sont introduits. Je lui demande si ça va… « Pas parti trop vite ? »… « Un peu si ! Mais je n'arrive pas à manger… » Inquiétude : près de 5h de course sans rien avoir avalé depuis le départ…ça va être raide !
Finalement, après quelques secondes, il repart dans l'obscurité de la Plaine des Sables.
De notre coté, Laëtitia et moi nous dirigeons vers un point de ravitaillement repéré à l'aller, le Piton Textor. En route, on aperçoit le sentier qui passe juste à coté de la route, l'occasion pour nous de nous arrêter en attendant notre coureur. Certains athlètes passent déjà, dont les premières femmes. Depuis la Plaine des Sables, il leur a tout de même fallu franchir l'Oratoire Sainte Thérèse à 1400m. Depuis c'est une descente sur un sentier irrégulier comme on en voit si souvent à La Réunion, aux roches saillantes et tranchantes.
Semelles minces et autres savates deux doigts, s'abstenir !
Quelques minutes plus tard, rendues bien longues par le froid, on voit la casquette et les manches bleues de Yankell apparaître 400m plus haut. Nous hurlons des cris d'encouragements. Le point bleu grossit vite. Pas le temps de s'arrêter à notre niveau, il continue sa progression en franchissant les obstacles avec de petits sauts façon cabri, un peu plus rapide que ses adversaires.
Nous courons à la voiture pour continuer. Quelques hectomètres plus bas, nous parvenons à un endroit où le parcours coupe la route juste à temps pour voir Yankell passer devant nous. Nous sortons nos têtes de la voiture pour hurler nos encouragements. Il nous entend et nous répond par des clowneries. Nous le retrouvons 15' plus loin au Piton Textor, point de contrôle et de ravitaillement. Nous exécutons Laëtitia et moi un rapide bilan de la mécanique de notre poulain. Malheureusement, il ne veut toujours rien avaler…
A peine 5' de pause…il repart déjà !
Nous repartons de notre côté pour rejoindre par la route Mare à Boue, un gros camp-ravitaillement-pointage 10 km plus loin. C'est le 50ème kilomètre de la course soit 1/3 de la Diagonale. Les premiers viennent juste de passer. Nous garons la voiture au bord de la route, 1km avant le PC. Le parcours emprunte cette section de route sur laquelle défilent les premiers concurrents.
La première femme passe, puis Karine Herry qui a déjà réussi le doublé Diagonale des Fous – Templiers à une semaine d'intervalle, véritable exploit ! Puis c'est le tour de Cléo Libelle, le local habitué des places d'honneur. Aujourd'hui il est dans un piètre état et abandonnera d'ailleurs quelques kilomètres plus loin. Après avoir installé près de la voiture le « camp », c'est-à-dire glacières, chaise longue et nourriture, je remonte tranquillement à la rencontre de Yankell sur 1km. Quelques minutes à peine et je croise la 3ème fille, une grande cafrine avec une coiffure surprenante. Juste derrière, mon frère pointe son nez. La voiture est à 1 km, c'est du bitume, la route est plate, la foulée est lourde, mais ça avance. Encouragements. Il me répond que c'est plus difficile de courir sur la route que dans les chemins ! Le comble ! Mais après avoir écouté ses explications, c'est compréhensible…le bitume est traumatisant et les genoux souffrent le martyr sur ces portions.
Je l'accompagne en essayant de prendre quelques photos et un bout de film (raté !). La voiture est en vue tout au bout de la ligne droite. Nous y arrivons rapidement. Laëtitia vient de terminer de tout mettre en place. A notre arrivée, tout est ok ! Yankell pose son sac au sol, s'assied dans la chaise longue. Je le masse, Laëtitia lui donne une ration de pâtes…il en mange…une cuillerée ! Et encore comme les bébés quand ils n'ont pas faim, c'est-à-dire en laissant la moitié de la cuillère remplie. Je n'ose pas m'imaginer la suite des événements s'il ne prend rien d'autre. On le somme de manger davantage…mais rien n'y fait. La suite du parcours par le passage de Kervéguen jusqu'à la Caverne Dufour n'est pourtant pas réputée facile…ça risque d'être un long calvaire pour mon frère !
C'est toujours une pause de courte durée. A peine ¼ d'heure. Il repart vers le PC.
Laëtitia l'accompagne pendant 500 mètres. J'ai prévu de la récupérer au passage puisque l'itinéraire course suit la route sur 1km, jusqu'au poste de pointage. Je range en vrac tout le matériel dans le coffre de la voiture, m'assieds au volant pour démarrer…et là, mauvaise surprise…pas de clef !
Coincé ! J'appelle vite Laëtitia pour qu'elle ne s'impatiente pas…Sereine, elle me répond… « Je viens juste de laisser Yankell…je reviens ! ». Ouf !
A peine 3' et la voilà de retour. « Il a pas l'air bien… » me confie-t-elle ! Effectivement, son état dû surtout à son manque d'alimentation nous laisse inquiets. On verra...
Le soleil est maintenant bien haut et efficace comme il sait bien l'être sous ces latitudes.
Nous descendons du haut de nos 1594m de Mare à Boue pour rejoindre Saint Benoît et remonter sur Cilaos…Laëtitia dort. Elle ne s'apercevra pas de ma boulette…je suis reparti vers le Sud de l'île !!!
Demi tour et après une perte de 30', je retrouve ma route, celle de Cilaos. La radio allumée, nous suivons la progression des premiers concurrents, bientôt arrivés à la Caverne Dufour, le « sommet » du Grand Raid avec ses 2484m. Pour moi, la montée à Cilaos est loin d'être monotone. En plus de boire les paroles du commentateur qui informe sur les pointages réguliers des 10 premiers, emmenés par Delebarre, la route sinueuse et très technique de la montée sur Cilaos concentre toute ma vigilance. Nous voilà à quelques minutes de Cilaos…le reporter annonce l'arrivée du premier. Dommage, nous ne le verrons pas. Le deuxième, une quinzaine de minutes après l'imite et passe juste avant notre arrivée. Dans Cilaos, nous trouvons une place pour l'auto à 400m du stade où est implanté le plus grand PC de la course, avec nourriture à gogos, lits de camps pour les plus fatigués, massages, médecins, bref tout ce dont peuvent rêver les raideurs fatigués. Dès notre arrivée, j'appelle mon frère. Il est passé à Kervéguen. Il n'est pas bien du tout, il commence à être inquiet sur son sort. Grand moment de doute. Je lui rappelle qu'il faut absolument manger, ça fait maintenant 10h qu'il est parti.
Il me répond qu'il s'est bien alimenté au poste qu'il vient de laisser. Je le crois à moitié, mais dans sa voix, on sent une grosse fatigue, de la démotivation, peut être même une intention d'abandon…
Résigné je le laisse à son sort, je ne peux rien faire de plus pour lui. Avec Laëtitia nous sortons tout le matériel. Elle prend un gros sac, celui ou Yankell a rangé ses affaires de rechange, la chaise longue, le parasol. Quant à moi, je porte les deux glacières, remplies de tout est n'importe quoi. Dans l'une le liquide, à savoir…coca, orangina, jus d'orange, eau congelée et…bière et vin ! Dans l'autre, toute la nourriture : salade de pâtes à toutes les sauces, sandwichs, jambon, fromage…bref de quoi tenir 1 semaine en autarcie ! Après plusieurs pauses, on installe notre stand assistance sur la pelouse du stade.
Sur place, encore peu d'accompagnateurs. Beaucoup de compétiteurs ne sont pas encore passés à Mare à boue. Par contre, c'est une nuée de bénévoles qui attendent les coureurs pour les aider à récupérer un bref instant ou plusieurs heures.
Parmi eux nous retrouvons le grand Daf. Format rugbyman, il devait courir mais a dû déclarer forfait pour cause de problème physique. Il n'arrête pas de répéter haut et fort avec humour à qui veut bien l'entendre : « Yankell est mon dieu ! ». En effet depuis la première participation de Yankell en 2005, Daf est admiratif devant ses performances. Nous patientons ensemble. Tout est prêt pour recevoir Yankell. Je lui retéléphone après de longues minutes, dans l'espoir qu'il ait un regain de forme.
« - Alors où en est tu ?
« Waouuuw, j'ai la patate ! Je suis en train de tous les bouffer ! Ca déménage ! J'arrive ! »
« T'es où ? »
« Dans la descente du Bloc, j'les extermine tous ! »
Abasourdi par ces paroles enthousiastes et tellement inattendues je le laisse dans sa descente d'enfer…Pourvu que ce ne soit pas la descente aux enfers !
Je décide d'abandonner Laëtitia et Daf pour partir à sa rencontre. Je remonte la route qui mène au bas du Bloc en marchant.
Daf, de son coté, retourne tous les sacs. Il est à la recherche d'un comprimé de guronsan. Il va même demander aux assistances présentes. Après avoir fait trois fois le tour du stade, il réussit à dégoter le précieux cachet pour mon frère.
Nouveau coup de fil à Yankell pour connaître sa position : « je suis à 10' du pied du Bloc ! »
Je ne vais donc pas tarder à le retrouver. Effectivement, après quelques minutes, je l'aperçois, en train de passer un adversaire. Il me voit, il arbore un large sourire sur le visage, visiblement heureux d'être dans cet état de forme. Décidément surprenant. La ration de pâtes de Kervéguen a fait son effet ! C'est tout lui ça ! Il nous a déjà fait le coup à l'occasion d'équipées un peu extrêmes dans le même genre. Il va jusqu'à l'épuisement sans manger, puis lorsqu'il n'a plus le choix, l'appétit revient. Alors là, au bout de quelques minutes, le plein de carburant fait, il repart de plus belle…étonnant !
Dans la descente jusqu'au stade, je l'accompagne, en retrait de quelques pas. Au bout de 5', nous arrivons au stade…avec un Daf gonflé à bloc qui l'accueille comme un héros !
Il l'escorte pour le conduire jusqu'à notre stand en criant avec humour « Place, place, mon Dieu arrive ! ». Je suis rapidement passé devant pour les derniers préparatifs.
Yankell arrive, pose son sac et se laisse tomber dans la chaise longue. Pas de temps à perdre. Laëtitia tient le parasol. Il est 11h et le soleil tape fort à cette heure. Yankell aura parcouru 70 km en un peu plus de 11h00 ! Elle lui présente à manger. Pour ma part je sors de son sac les affaires dont il n'aura plus besoin…dont un tupperware vide prouvant qu'il a bien mangé !
Aussitot, avec Daf, nous lui retirons ses chaussures, puis ses chaussettes. Lui pendant ce temps grignote. Je lui essuie les pieds pour qu'il reparte comme neuf… Daf lui masse la plante des pieds, moi les jambes, après les avoir rapidement nettoyées. Laëtitia insiste pour qu'il s'alimente davantage mais sans grand succès! On parvient quand même à lui faire avaler un petit quelque chose. Je lui remets des chaussettes propres et sèches.
« As-tu a besoin de quelque chose de particulier ? » « Non ! »
Me vient une idée… « Veux-tu une deuxième frontale pour la nuit ? » « Oui ça peut être efficace. »
Zut, la lampe est dans la voiture ! « Attends-moi 3' je reviens » « Ok !» Je cours à la voiture. Sitôt revenu avec la précieuse lampe, je la range dans son sac avec une gamelle de pâtes, je le boucle, il est prêt. On lui offre un dernier sandwich…à peine une bouchée !
Daf insiste. Yankell refuse toujours …Alors Daf s'enfile tout rond le sandwich sous nos yeux éberlués…et dire qu'avec Laëtitia on gardait toute la nourriture pour Yankell au cas où !
A peine resté 15', il se relève, réajuste son sac, un dernier au revoir et quelques consignes, puis c'est le départ pour une longue étape en solitaire.
Il est 11h30 et nous ne le reverrons normalement que dans 12 à 13 heures. Nous nous donnons rendez vous à Deux Bras, juste avant la sortie du Cirque de Mafate.
Il est hors de vue, nous quittons Daf et reprenons la route.
Mes yeux se ferment, mais les routes sinueuses de la Réunion me maintiennent éveillées. Nous avons le temps. Au passage sur la côte, petit stop chez la mère de Laëtitia qui nous prépare un petit plat vite fait mais délicieux. Nous ne nous attardons pas, et filons à l'appart' pour une petite sieste de quelques heures.
Au programme ensuite, décollage à 18 heures pour que je puisse remonter à pied la Rivière des Galets. En prévision donc un petit trail nocturne qui me permettra d'arriver assez tôt au poste de Deux Bras inaccessible sans 4x4.
Petite sieste terminée, nous passons au PMU en bas de l'appart (le QG des Beach-tennismen) où le patron nous offre deux orangina pour le champion actuellement dans les 80 premiers de la course ! Merci !
Je boucle le sac qui m'accompagnera au fond de Mafate. Une couverture de survie, une micro polaire, deux canettes d'orangina, un camelback et un guronsan feront l'affaire.
Vingt minutes plus tard Laëtitia me dépose dans le noir près du Port, en aval de la Rivière des Galets qui descend du Cirque de Mafate. Je devrai la remonter sur 11km jusqu'à Deux Bras à la sortie du cirque. C'est là qu'a été implanté le PC course.
Laëtitia est déjà repartie direction stade de Dos d'Ane, moi je m'aventure dans le lit de la rivière alors que la nuit est déjà bien noire.
Il est 18h30 heures.
Première traversée de la rivière sur des galets (elle porte bien son nom !): aucun problème. Nous l'avons déjà parcourue avec Yankell au départ de notre randonnée. Normalement je dois la traverser six fois. Plus que 5 !
Je continue au petit trot sur la piste du fond des gorges. Deuxième traversée, aucun problème, je saute de pierre en pierre et arrive sur la rive opposée sans souci !
Je poursuis mon chemin, pour arriver rapidement à la troisième traversée. En face, un camp est monté par des jeunes. Tous réunis autour d'un grand feu, ils ne me voient pas. J'entame la traversée. Mais c'est bien ce qui me semblait : par rapport à la semaine passée, le niveau de l'eau à monté et le passage est limite !
Au deuxième rocher, je glisse et me retrouve pieds joints dans l'eau. Trop tard, chaussures et chaussettes mouillées, je termine la traversée de l'eau aux genoux.
Je continue en direction de Deux-Bras. Avantage : les 2 passages suivants, je les franchis sans avoir besoin de chercher un passage…les pieds dans l'eau ! Après une heure de footing, un halo lumineux apparaît. Il s'agit du PC.
Je m'approche, ce sont les militaires qui tiennent le poste, que des militaires. Grosse ambiance !!!
Six coureurs seulement sont passés. Il est à-peu-près 19h30.
Je rentre dans l'enceinte du poste par la sortie. Une banderole annonce La Redoute (l'arrivée) à 32 km…la course est donc encore loin d'être finie pour ceux qui arrivent !
Le poste de secours est très animé. Un écran géant permet aux bénévoles et militaires de s'égosiller sur l'unique karaoké de Mafate. Tout autour, de nombreuses tentes, où pour l'instant les athlètes défilent au compte goutte, servent de dortoirs (90 lits), de restaurants (avec poulets, soupes…), mais aussi de pointage. Certaines sont équipées pour dispenser des soins kinés ou médicaux aux plus mal en point.
Un véritable camp de réfugiés au milieu de nulle part. Un camp de retranchés qui attends le retour des tranchées ! Pour l'instant, rares sont les « survivants » qui sortent de la nuit pour entrer dans la clameur et la chaleur de cet oasis.
Je traverse le PC-course tranquillement en admirant le zèle des bénévoles et en profitant de toute cette animation. Au bout de 300 mètres je me retrouve à l'entrée du poste, à la tente de contrôle. Une toute petite tente, après laquelle l'obscurité règne en maîtresse. Au delà c'est l'enfer du Cirque de Mafate.
Un autre supporter est présent. Il attend son beau-fils. Lui est là depuis le passage des premiers…mais il est venu en voiture ! Il a bénéficié d'une navette 4x4 pour se faire balader.
Tant mieux pour lui…tant pis pour moi !
Il a compris l'astuce : les dossards ont un code barre et dès lors qu'un athlète est pointé à un PC il est tout de suite informatisé. Ca lui permet, en demandant au bénévole, de suivre en « live », la progression de son coureur!
J'en profite pour demander où en est le #1641…il vient de repartir de La Nouvelle. Je le savais, je l'ai appelé juste avant…mais ça confirme. Ce que j'ignorais, c'est sa 76ème place !
Je suis très optimiste, 76ème après les grosses difficultés !
A priori, l'état de forme n'est pas resplendissant, mais il s'est motivé et est reparti, c'est le principal. Prochain pointage, le Col des Fourches. Là haut, à mon sens, il sera « sauvé ». Après, ce sera pour lui 15 km de descente, et là j'en suis sûr, il va en surprendre plus d'un !
Avec mon compagnon de fortune, nous commençons à échanger des infos sur les courses de nos athlètes, et surprise, mon frère et son beau-fils sont ensemble à La Nouvelle !
Il me confie alors : « C'est sympa, nos poulains vont arriver ici ensemble ! » Je le préviens que Yankell aime bien les descentes... Il m'assure que malgré ça ils arriveront ensemble…
On verra !…
On continue à bavarder. J'ai retiré mes chaussures pour me sécher les pieds…Malheureusement mes chaussettes ne sécheront pas, ni mes chaussures…
Tous les quarts d'heure, nous demandons un point aux chronométreurs. Pas de nouvelles de nos deux coureurs, ils ont quitté La Nouvelle et ne sont pas arrivés au Col de Fourches.
C'est au bout d'1h15 que mon frère débouche au pointage du col, presque en même temps que le beau fils. Mon comparse reste confiant, m'assurant toujours qu'ils arriveront ici ensemble…Dans ma tête, Yankell est arrivé au col autour de la 70ème place après l'ascension, il a maintenant 15 km de descente, connaissant ses qualités, il risque d'en laisser quelques-uns sur place !
J'en profite pour l'appeler : tout va bien, le physique tient, la grosse difficulté est la fatigue…alors je l'encourage. A partir de maintenant, je lui envoie un petit message d'encouragement de temps en temps pour le réveiller. Normalement, je le retrouve d'ici deux heures, mais nous aurons un pointage intermédiaire. Celui d'Aurère, qui se trouve au ¾ de la descente.
Pour faire passer le temps, nous continuons à discuter, toujours en nous renseignant sur les pointages. Le leader de la course n'a toujours pas franchi la ligne d'arrivée à St Denis, mon frère n'est toujours pas arrivé à Aurère, le beau-fils non plus…la nuit est pesante.
Je fais quelques pas dans le noir pour voir arriver les forçats de la Diagonale : toujours aussi peu nombreux.
Au loin, sur le chemin qui descend de nulle part, des lampes apparaissent toutefois pour disparaître presque aussitôt. Puis elles grossissent pour enfin, après de longues minutes, arriver à mon niveau et entrer dans l'oasis de Deux Bras.
Pointage sur l'informatique…ça y est ! Yankell est arrivé à Aurère ! Très bien.
Mon homologue demande pour lui également, il pense voir son athlète pointer d'ici peu…mais il devra attendre !
J'appelle Yankell : tout va bien. Il ne s'attarde pas au poste d'Aurère et continue sa descente infernale…il est actuellement 52ème et devrait arriver ici autour de minuit.
Pour moi, il est presque 23heures et ça fait déjà 3h30 que je patiente. Mais je suis impatient de voir mon frère arriver. Quand je verrai Yankell, il aura couru 24 heures non stop pour parcourir 120km. Au vu du profil du parcours, c'est déjà un bel exploit !
Quant à mon binôme, toujours pas de pointage pour lui à Aurère. Il est pourtant maintenant 23h30. Mon frère y est passé depuis plus d'1/2 heure. On apprend en parallèle l'arrivée à Saint Denis du vainqueur, un « métro » qui vit à la Réunion depuis seulement 4 ans et qui à commencé à courir…à la même époque ! Seulement 4 ans de pratique et une victoire sur le Grand Raid…avec plus d'1h15 d'avance sur son second ! Et malgré tout, il met 3h de plus que le vainqueur de l'année passée, ce qui en dit long sur la difficulté du parcours 2007.
Le temps s'écoule plus vite maintenant que je sais mon frère proche. Il doit arriver d'un instant à l'autre Je l'attends dans le noir. A peine 25 athlètes sont passés…et pourtant il ne devrait pas tarder. Un à un ils déambulent devant moi, frontale sanglée sur le crâne, avançant d'un pas claudiquant. Quelques lumières au loin…Mon frère au téléphone…il m'annonce être à 10' de la rivière des Galets…tout près !
Quelques nouveaux coureurs arrivent, tous aussi usés les uns que les autres. Les loupiotes se balancent sur le chemin, je scrute.
Ca y est. On a beau être en pleine nuit et ne pas voir à 2 mètres, je le vois…il est à peut être 200 mètres ! Impossible de se tromper…c'est le seul qui a deux frontales et avance plus vite que les autres !
Pas manqué ! Quelques minutes plus tard, un visage tout aussi décomposé que les autres, mais un corps qui parait plus frais, émerge du noir, illuminé qu'il est…par ma frontale. Il est crevé, mais à l'air heureux. Je le mitraille de photos et le bombarde de questions sur les 5 mètres qui nous séparent du contrôle des militaires. Je lui donne quelques éléments…sa place, 76 à La Nouvelle.
Il est passé 63 au Col des Bœufs, après une partie de descente, puis 63 à Aurère, et le voilà maintenant…37ème !!!
Une descente d'enfer effectivement, avec 40 places de gagnées !
Il est content, reste modeste mais content ! C'est pourtant un réel exploit !
En marchant, nous traversons le « village » improvisé. Il me raconte sa traversée de Mafate. Infernal...
Je lui raconte notre journée, lui énumère ses pointages, décrit la suite des événements. Laëtitia est là haut, à Dos d'Ane, au 2/3 du sommet de la dernière difficulté. Et puis j'ai prévu de le suivre sur cette dernière partie…pour casser la solitude.
Il part se ravitailler. Je déballe mon sac. Il vient s'asseoir à la table avec deux cuisses de poulets à grignoter. De mon coté, je lui offre un orangina et masse…ses deux cuisses de poulet !!! Comment des jambes comme ça on pu gravir aussi vite tant de sommets et dévaler tant de descentes ? Mystère !
Mon collègue de tout à l'heure vient discuter. Son beau fils vient seulement d'arriver à Aurère… « Bravo pour cette descente, c'est fou ! » dit il… Ah bon !?!
Mais Yankell n'a pas envie de s'attarder. Pour preuve, le massage terminé, après seulement 12' sur place, le voilà reparti…moi à ses trousses !
Nous pénétrons dans le noir, prêts à gravir le dernier obstacle. Celui que mon frère connaît le mieux…il ne connaît d'ailleurs presque que lui, il l'a reconnu à l'entraînement, 4 à 5 fois !
Nous traversons la Rivière des Galets et abordons aussitôt les premières rampes de Dos d'Âne.
Juste après la rivière, sur un gros rocher, un rasta et son copain, tous deux concurrents, se roulent un joint de zamal ! Peut-être pour ne plus sentir la douleur ? Peut être pour se donner des forces ?
Bref, nous continuons. Juste après, nous remettons sur le bon chemin deux coureurs paumés. L'un d'eux nous suit, l'autre est cuit.
Yankell devant, je laisse passer le coureur et reste derrière pour ne pas gêner.
Yankell marche régulièrement, silencieux. Notre accompagnateur discute, il n'arrête pas…et ne s'arrêtera pas durant la prochaine heure et demie ! C'est un breton…ils sont partout !
Il s'appelle Thierry et nous apprend qu'il a remporté plusieurs trails en Bretagne.
Un sérieux client…ce qui ne fait que me conforter dans l'idée que mon frère est vraiment un surhomme aujourd'hui, lui qui ne s'entraîne pas…lui qui n'aime pas courir ! Je lui apprends à mon tour que j'en ai gagné un aussi en Bretagne, le Trail de l'Estran l'année passée…Sur quoi il me répond avoir fait 2ème sur cette même course l'année précédente (Pierrot si tu nous lis. !). Il a entendu parler de moi ! Le monde est bien petit !
Nous continuons, la montée est longue. Mon frère au radar. Thierry anime la montée. Moi j'entretiens la discussion. Yankell a ses repères. La montée est abrupte et vertigineuse de jour…mais de nuit on ne voit que dans le cercle éclairé par nos frontales.
Nous voilà au passage de l'échelle…comme quoi même le sentier ne suffisait pas, ils ont été obligés d'installer une échelle !
Nous sommes presque à mi chemin de Dos d'Ane.
Nous progressons. Moi je suis facile malgré mes pieds mouillés mais je ne suis sur le chemin que depuis à peine trois quarts d'heure alors que mon frère et Thierry y sont depuis plus de 24 heures maintenant, bientôt 25… et toujours pas dormi !!!.
Virage aux nattes tressées : ¾ de la montée jusqu'au prochain poste. Le sentier est plus boisé. Nous progressons. Toujours les bavardages de Thierry. Pas loin d'1h30 de montée.
Nous arrivons enfin au terme de cette portion. Eglise de Dos d'Âne. J'appelle Laëtitia pour la prévenir de notre arrivée… « Yankell est en pleine forme ! » Ca ne peut faire que du bien à entendre, même si c'est un peu exagéré !.
Nous continuons. Encore 45 bonnes minutes nous séparent du stade où elle nous attend.
Nous traversons le village. La route monte toujours. Au bout d'un certain temps, panique. Plus de rubalise ! Où donc est le chemin ? Personne ne reconnaît. On fait demi tour. Au final, 15' de perdues ! Mais on retrouve le sentier.
La côte est rude. Pour moi c'est dur, pour eux, ce doit être un chemin de croix !
Enfin, les lumières du stade. Moi qui après avoir vu le poste de Cilaos et celui de Deux Bras m'attendais à un poste dans le même style, je ne vois qu'une tente de pointage !
Yankell s'assied dans la chaise longue préparée par Laëtitia, je me mets à ses pieds pour un nouveau massage. Ne rien négliger !
Un peu de pâtes, le répit est de courte durée. Thierry est parti. Yankell me demande si je veux bien lui porter son sac…je réponds sans l'ombre d'une hésitation : « NON ! » Son dos est à vif, mais je lui rappelle que la règle est la même pour tout le monde, et les autres aussi doivent avoir mal. Laëtitia n'a pas osé le lui dire, j'ai pris les devants…il ne manquait plus que ça que je lui porte son sac ! Et puis il le porte depuis 125km…il peut bien le porter 25 de plus !
Il repart. Je l'accompagne. Nous laissons Laëtitia et une amie venue spécialement encourager Yankell. Le départ est plat sur la route…mais c'est de courte durée. La route devient chemin, le chemin sentier, et le plat devient côte avant d'être raidillon !
Cette partie, nous l'avons faite ensemble lors de mon premier footing ici. Je reconnais. Lui connaît bien. Au loin, en bas, tout en bas, des cris, ceux des deux filles qui hurlent des encouragements à Yankell.
Alors que nous atteignons presque le crête, nous tombons sur deux commissaires de course assis au milieu du chemin. Un contrôle inopiné !…
Ils vérifient les athlètes qui passent. Je suis toujours 10 mètres derrière Yankell.
Ils l'arrêtent et lui donnent tout de suite le feu vert pour continuer. J'essaye de passer sur le côté en marmonnant un: « Je ne suis pas dans la course… ». Il m'arrêtent à mon tour : « Qu'est-ce que vous faites là ? ». Il est 2h30 du matin… Devant, Yankell a poursuivi quelques mètres avant de s'arrêter pour observer.
« Je monte jusqu'en haut pour attendre et encourager avant la dernière descente un ami coureur qui se trouve actuellement vers Deux Bras. Il doit arriver d'ici 3 heures… » ce qui est cohérent sans le faire exprès. « Il est interdit de porter assistance aux coureurs en dehors des points de contrôle » et ils ajoutent « Attendez-le ici avec nous si vous le souhaitez » Finalement, l'air dépité je leur réponds : « Tant pis, je vais retourner l'attendre au poste de Dos d'Ane »
Sur ce je rebrousse chemin…aucune explication supplémentaire ne sera nécessaire… OUF !
Je n'ai pas aidé Yankell et de toute façon je ne lui aurais pas été d'un grand secours…je suis parti sans boire, et n'ai pas bu depuis l'après midi…et je suis parti sans eau…j'ai oublié de faire le plein !
Bref, je téléphone à Yankell pour lui dire de continuer sans moi…puis appelle vite les filles pour demander à Laëtitia de m'attendre avant de partir sur Saint Denis…
A peu de choses près je me retrouvais bloqué à Dos d'Ane en pleine nuit sans moyen de retourner à l'arrivée !
Je descends en trombe, je croise une demi douzaine de coureurs, certains en groupe, d'autres seuls, tous le regard vide, des zombies !
En quelques minutes, je retrouve Laëtitia en bas, et nous prenons ensemble la route de Saint Denis, stade de La Redoute, arrivée du Grand Raid.
Sur place, je m'endors une petite heure dans la voiture. Pendant ce temps, la première femme franchit la ligne. Lorsque je me réveille, la nuit s'efface juste pour laisser place aux premières lueurs du jour. Un petit appel à Yankell, il me dit être juste avant Colorado, le dernier poste de pointage.
Il est 5h30 du matin ce samedi.
Je rejoins Laëtitia pour lui donner des nouvelles puis je pars au devant de mon frère en marchant. Pour l'instant, seul 25 « fous » ont franchi la ligne.
Je remonte les 500 mètres de route, puis je m'aventure sur le sentier. Un sentier abrupt, sans réel chemin, des pierres partout, des appuis fuyants, de gros bloc meurtrissants pour les pieds.
Toujours sur le sentier, je pénètre dans une portion plus verte. Je croise notre Thierry le breton, 28ème, il a fait une belle remontée. Je l'encourage, mais il est trop concentré…ou dans un état second, en tout cas il ne m'entend pas.
Je continue à monter. Coup de fil à mon frère pour connaître sa situation…il n'a pas l'air loin de moi !
Effectivement, à peine 3 minutes et il arrive, en marchant. Je l'ai rarement vu dans un tel état. Boitillant, exténué par ses 30 heures d'efforts ininterrompues, il fait des semblants de saut de pierre en pierre en amortissant au mieux ses chutes à répétitions.
Devant, personne à doubler. Derrière, il me dit avoir doublé 3 gars à l'arrêt depuis peu de temps. Nous avançons tranquillement…pour moi tout au moins !
La vue se dégage, Saint Denis est en vue, puis le Stade de La Redoute en contrebas.
Le pied de la rampe que nous descendons est à 400 mètres. Mon frère commence à enfiler le tee-shirt de l'organisation qui doit être porté à l'arrivée. Tee-shirt dans une main, sac dans l'autre, il se retourne et soudain me crie : « Faut y aller !!! » et il se met à dévaler la pente !
Juste le temps de me retourner…pfffttt !…..un raideur, un cafre, me passe sous le nez à toute allure. Mon frère est 20 mètres devant, les deux bras occupés.
Il finit d'enfiler son tee-shirt en sauve-qui-peut, le cafre le talonne. Yankell dérape, glisse sur le flanc pour se rétablir et continue sa course. A 5 ou 6 reprises dans la descente il reproduit ses cascades. Puis il disparaît de ma vue…je n'arrive pas à le suivre !
Il vient de faire 150 km et je n'arrive pas à le suivre ! Hallucinant…
J'atteints la route. Il sont déjà au moins 150 mètres devant ! C'est dingue ! Mon frère mène. Je sprinte pour voir l'arrivée, mais en vain puisqu'il va toujours plus vite que moi !
J'arrive sur la ligne. Mon frère l'a coupée quelques secondes avant moi…tant pis, je l'ai raté !
Il a fini !!!
Il a terminé sa 3ème Diagonale des Fous. Ouf pour lui !
Résultat : 32ème…après 30h36', à seulement 7 heures du premier et 5h30 du second, tout simplement phénoménal !!!
La course est terminée. Petite photo en repassant l'arrivée, encadré de Laëtitia d'un coté, moi de l'autre.
Le fou peut maintenant aller se reposer… l'assistance aussi…et je sais qu'à 9000km de là on savoure aussi ce grand moment !
Carnet de route du dossard 1641
Poste de contrôle Date Temps Kms Place
Saint Philippe - Cap Méchant | 19/10/07 00:00:00 | 00 | | |
Le Volcan-Plaine des Sables | 19/10/07 04:50:22 |
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